Vivre l'urbanité en zone polaire ; espace de tous les défis climatiques
Inclusivité
Un milieu inclusif se doit d’être pensé après la consultation et l’engagement des communautés locales, en particulier les groupes les plus vulnérables (ARUP, 2013). La mise en lumière et la prise de conscience de l’isolation d’un groupe, d’un secteur ou d’une communauté par rapport aux autres sont primordiales, car cette exclusion est un problème majeur et contribue à une baisse de la résilience (ARUP, 2013). Ainsi, une approche inclusive contribue à un sentiment d’appropriation partagée et une vision commune pour renforcer la résilience des villes (ARUP, 2013). Ultimement, milieu inclusif intègre un groupe, mettant ainsi fin à son exclusion.
Norilsk 2035 est-il inclusif?
de Bai, 2016
Si la définition de L’ARUP est prise à la lettre, il semblerait que le projet de rénovation du Central District n’est pas inclusif, car aucune prise en considération des populations vulnérables a été prise. En fait, il semblerait qu’aucune consultation citoyenne n’ait été faite afin d’élaborer le projet. À aucun endroit dans le document, il y a une allusion à un groupe exclu ou marginalisé. De plus, il n’y a pas la présence de données sociologiques ou économiques qui permettraient de déduire ce genre de phénomène. Cela s’inscrit avec la volonté de Norilsk de faciliter le départ de la population inactive (retraités, invalides, chômeurs, etc.) tout en favorisant l’arrivée de jeunes travailleurs afin de remplir les postes dans l'industrie (Bayou et Le Bourhis, 2008 ; Shiklomanov et Laruelle, 2017). Cette volonté est entre autres largement prouvée par le document adopté en 2007 qui s’intitule « Stratégie de développement socio-économique de Norilsk jusqu’en 2020 » qui a été pensé et élaboré par les cadres de la Norilsk Nickel (Bayou et Le Bourhis, 2008). Enfin, le document ne met pas en lumière la présence de différents groupes culturels. Il semblerait que Norilsk abrite une grande communauté musulmane venue de l’Azerbaïdjan, leur présence étant remarquée par la mosquée Nord-Kamal – la plus septentrionale. Outre cette communauté, les territoires entourant le site sont des lieux dans lesquels plusieurs communautés autochtones vivent : Dolganes, Nénètses, Nganassans, Evenks et Énètses (IWGIA, 2020). En somme, le projet de reconstruction et de revitalisation du Central District n’est pas inclusif selon les critères de l’ARUP et ne met pas en lumière les différents groupes ethniques qui y vivent.
Toutefois, il est possible d’analyser l’inclusivité du projet selon d’autres critères. L’inclusivité apparait alors comme étant une qualité urbaine non pas associée à un enjeu précis, mais plutôt comme étant une caractéristique essentielle à l’atteinte des autres qualités urbaines puisqu’elle implique la participation des citoyens (participation publique), leur capacité à lire leur milieu de vie et à s’y identifier (lisibilité) ; étapes essentielles à l’atteinte d’un milieu de vie résilient et durable.
Participation des locataires et des propriétaires dans le processus de construction
En plus d'utiliser des matériaux et de la main d’œuvre provenant directement de la région, les nouveaux bâtiments incluront les locataires et les propriétaires dans le processus de construction.
En effet, ces derniers pourront choisir, à partir d'un large éventail, les éléments de finition ainsi que l'ameublement. Cette intégration des ces acteurs dans le processus de construction est, dans un sens, une participation citoyenne, parce qu'en les laissant choisir, les architectes permettent une meilleure appropriation du milieu et le développement d'un sentiment d'appartenance au milieu plus grand. Toutefois, il est pertinent de se demander comment ses éléments de finition et d'ameublement ont été choisis. Ont-ils été pensés en tenant compte des goûts et des besoins des habitants ou ont-ils été choisis seulement selon des critères externes à la réalité?
Lisibilité
Un site lisible, c’est un endroit facilement saisissable par ceux qui le vivent (Bently, 1895). Cette qualité est non seulement importante à des fins esthétiques, mais également dans l’appropriation du lieu, dans l’utilisation de celui-ci à son plein potentiel (Bently, 1985). Ainsi, une place utilisée, c’est une place saisie, une place qui s’inscrit dans le milieu. Cinq caractéristiques jouent un rôle clé dans la lisibilité d’un lieu, ces dernières ont été élaborées par Kevin Lynch dans les années 1960 : les nœuds, limites, parcours, districts et points de repère (Bently, 1985).
Noeuds
Les nœuds sont des places centrales vers lesquelles plusieurs chemins convergent, par exemple des coins de rues ou des carrefours giratoires (Bently, 1985). Pour le Central District, les nœuds les plus importants actuellement sont le Carré des métallurgistes et le Carré Gvardeyskaya. Le Carré des métallurgistes (à droite) se trouve à être dans les faits un cercle dans lequel se croisent la rue Pouchkine et la Leninskiy Prospekt, deux des parcours les plus importants du district qui sont à la fois piétons et véhiculaires.
Zhitvnorilske, 2021
Limites
Les limites sont des éléments linéaires qui ne sont pas parcourus ou qui coupent le paysage et le site, par exemple des murs, cours d’eau, viaducs ou grands boulevards (Bently, 1985).
Les limites du Central District sont assez fortes comme le montre la figure (à gauche). Le site est en effet délimité par des larges voies, des espaces verts, un lac ou le complexe industriel. Certaines limites sont donc anthropiques alors que d'autres sont naturelles.
Rzhevsky, 2014
Parcours
Les parcours sont très significatifs étant donné que les gens les utilisent quotidiennement pour se déplacer et les incluent donc énormément dans l'image qu'ils se font de leur milieu de vie (Bently, 1985). Les parcours comprennent les allées, rues, boulevards et chemins de fer et facilitent les mouvements des usagers. Ils peuvent avoir plusieurs intensités et de natures. À Norilsk, les voies piétonnes se confondent souvent avec les voies véhiculaires, surtout en hiver puisque la neige qui s'accumule sur les parcours rend difficile la différenciation des deux parcours. Il existe également beaucoup de cours intérieures, celles-ci n'ayant aucune différenciation entre les voies véhiculaires et les voies piétonnes.
Zhitvnorilske, 2021
Points de repère
Les points de repères sont des éléments du paysage importants qui sont perçus et non vécus comme les nœuds (Bently, 1985). Le clocher du temple de Saint-Luc, le minaret de la mosquée Nurd-Kamal (à gauche) et le théâtre polaire de Norilsk en sont quelques exemples. Les nombreuses cheminées qui s’élèvent dans le ciel sont également des points de repère, mais un différent niveau, car elles ne servent pas nécessairement à se repérer, mais elles font parties intégrante du paysage. Au loin on peut également apercevoir les montagnes de la réserve naturelle de Poutorana.
Dreamstime, 2022
Valenta, 2012
District
Alors que les nœuds, limites, parcours et points de repères constituent le squelette de l’image urbaine, les districts - ou secteurs, eux, correspondent à la chair (Bently, 1985). Ainsi, les districts sont reconnaissables par les habitants parce qu’ils ont des caractéristiques uniques et différenciables. Ils peuvent être à une échelle plus petite, c'est-à-dire à l'échelle même du quartier, en ayant des caractéristiques qui se différencient du reste.
Norilsk 2035 sépare cinq grands districts dans lesquels plusieurs opérations seront faites, s'étalant sur le temps: Central District, Talnakh, Oganer, Kayerkan et Snezhnogorsk. Pour le Central District, quatre "micro-districts" sont analysés plus en profondeur, soit la "nickel valley", le no.7, le no.10 et la vieille ville.
Lisibilité du micro-quartier no.7
Le micro-quartier no.7 abrite le théâtre polaire de Norilsk (encerclé en noir). Le projet de rénovation vise à aménager un quartier qui remplit les conditions de ville-quinze-minutes afin d'améliorer les conditions de vies des habitants face au climat aride. Ainsi, le site deviendra plus dense et compact et accueillera un plus grand nombre de commerces.
Des infrastructures sportives (bleu), scolaires (turquoise), des nouveaux bâtiments résidentiels (en rouge), un établissement de santé (rose), des commerces de rue (jaune), des bureaux (noir) et des commerces (vert) seront construits ou reconstruits.
Il n'est pas mentionné que les usagers de ce site aient été consultés dans l'élaboration du projet
Rzhevsky, 2014
Noeuds
Encerclés en rouge, les deux principaux noeuds se trouvent à être la place du théâtre polaire de Norilsk et le pavillon des sports. Le noeud du théâtre polaire sera revalorisé, d'une part avec la construction du marché couvert et avec la création de la rue Mira, seulement accessible aux piétons, d'autre part.
Les limites du micro-quartier no.7 ne sont pas assez fortes pour être définies comme telles, puisqu'elles sont parcourues et facilement franchissables. Ce sont des voies automobiles et piétonnes, donc plus des parcours que des limites.
Or, les nouveaux bâtiments (à gauche en rouge) peuvent servir de sorte de limite, en fermant le micro-quartier aux voies adjacentes et aux autres quartiers.
Limites
En noir sont montrés les différents parcours, mais seulement les voies automobiles. De plus, celles-ci ne sont pas hiérarchisées: on ne sait donc pas quels parcours sont les plus importants.
En jaunes pointillées sont les parcours seulement piétons. La rue Mira, au centre, sera la première rue seulement destinée aux marcheurs de Norilsk et elle est connectée avec les grands parcours multimodaux perpendiculaires. Le micro-district aurait pu être dessiné en entier en jaune pointillé, car les cours intérieures sont connectées les unes les autres par de petits passages, facilitant ainsi la marche. Les cours intérieures sont aussi accessibles en voiture.
Parcours
Du point de vue historique, le théâtre polaire de Norilsk constitue un point de repère important et sera combiné avec le marché couvert du projet.
Les différentes infrastructures de rue permettront également aux marcheurs de se situer et de s'orienter par rapport aux autres parcours.
Enfin, le pavillon des sports, de par sa différence par rapport aux autres infrastructures constitue un dernier repère visuel importan
Points de repère
District
Enfin, pour ce qui est des districts, il semblerait que le projet Norilsk 2035 propose quatre micro-districts dans lesquels il y aura de nouveaux aménagements , de nouvelles infrastructures et de nouvelles vocations. Or, il n'existe aucune explication sur les raisons qui ont régi le choix de ces micro-districts, d'autant plus que les autres micro-districts laissé-pour-comptes ne sont pas mentionnés ni expliqués.
Pour le micro-district no.7, par exemple, il ne semble pas y avoir de traits distincts et forts qui le différencie des autres ou qui le rend lisible. Le fait qu'il n'ait pas de nom en dit long sur l'identité du lieu. Il n'est pas non plus situé dans le Central District ou mis en relation avec les autres micro-districts.
Un point fort quant-à l'élaboration des traits forts dans le micro-district no.7 serait la mise en place de bâtiments de rue comme les "gastromarkets", le marché couvert ou encore le pavillon, ceux-ci ne suivant pas le thème du micro-district, les rendant ainsi plus important.
